Terres rares, lithium, cobalt, ruée sur les métaux stratégiques | Géopolitis

Terres rares, lithium, cobalt, ruée sur les métaux stratégiques | Géopolitis

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-Bienvenue dans "Géopolitis", qui s'intéresse aux nouveaux pétroles de la transition énergétique: les métaux et minéraux stratégiques. Prométhium, europium, terbium... Quelques-uns des 17 métaux qui forment les "terres rares", dont la Chine est le principal producteur. Les projets miniers se multiplient, avec les risques pour l'environnement et la nécessité d'augmenter le recyclage. Les fonds marins regorgent de métaux stratégiques, mais de nombreux pays s'opposent à leur exploitation.

La planète en regorge, mais les terres rares sont difficiles et coûteuses à extraire. Elles deviennent aussi stratégiques que le pétrole, même si leur marché est insignifiant comparé à celui des énergies fossiles. Leurs applications sont multiples: objets électroniques, santé, défense, énergie renouvelable, industries automobile et aéronautique. Il faut les distinguer du lithium, qui fait partie des métaux stratégiques au sens large, comme d'autres, contenus dans nos téléphones portables.

La demande en lithium va être multipliée par 40 avec l'abandon des moteurs thermiques dès 2035 dans l'Union européenne. On estime à 200 kg les minerais et métaux stratégiques dans une voiture électrique. La demande et les tarifs vont exploser. Avec Gilles Carbonnier, professeur d'économie et du développement à l'IHEID, nous verrons la dépendance quasi totale à la Chine, qui fournit 98 % des terres rares consommées en Europe. D'où la multiplication des projets miniers européens pour arriver à fournir 30 % de la demande.

Regardez ce sujet. Musique électronique calme -Dans le sous-sol de Kiruna, au nord de la Suède, se trouverait le plus grand gisement de terres rares d'Europe. Un million de tonnes voire plus, exploitable dans les 10 à 15 ans.

-Cette découverte peut jouer un rôle clé pour assurer la transition énergétique de l'UE. -Les terres rares sont 17 métaux. Ils ne sont pas si rares, mais difficiles à extraire et traiter.

On en retrouve dans les appareils électroniques, dans des technologies militaires, les éoliennes et les moteurs de certaines voitures électriques. La Chine est en tête du marché: en 2021, 60 % de la production venait de Chine. Elle assure aussi 87 % du raffinage des terres rares. Une position dominante, qui inquiète en Europe et aux Etats-Unis, qui investit pour relancer la production américaine comme à Mountain Pass, en Californie, la seule mine de terres rares du pays. ... D'autres minéraux jouent un rôle important dans les technologies vertes, comme le lithium.

L'une des plus grandes mines d'Europe devrait ouvrir en France en 2027. -On lance un projet majeur qui nous amènera à produire ici 34'000 t de lithium hydroxyde, permettant d'équiper l'équivalent de 700'000 véhicules électriques par an sur les prochains 25 ans. -Le lithium et d'autres entrent dans la composition de nombreuses batteries pour véhicules électriques. Des matières dont la production dépend d'une poignée d'Etats. Pour le lithium, 90 % de la production provient de trois pays: Australie, Chili, Chine. Pour le nickel, 60 % de la production vient d'Indonésie, des Philippines et de Russie.

Pour le cobalt, 70 % de la production provient de la seule République démocratique du Congo. L'augmentation de la demande ouvre de nouveaux horizons pour certains pays. La RDC veut promouvoir le développement d'une industrie de production de batteries sur son territoire. -On n'exporte plus les matières à leur état brut, car nous ne gagnons pas de valeur dessus.

-La Chine produit trois quarts des batteries lithium-ion pour les véhicules. La demande mondiale de batteries aurait doublé entre 2020 et 2021. D'ici 2040, les besoins en minéraux pour la transition énergétique pourraient quadrupler. -Bonjour, Gilles Carbonnier. -Bonjour. -Vous êtes professeur en économie du développement à l'IHEID, spécialiste des matières premières. La Chine détient 60 % des réserves de terres rares et 87 % du raffinage.

On est tributaires de ce que veut nous donner la Chine, elle peut faire des embargos ? -On peut se demander comment on en est arrivés là. Le contexte: fin 2001, la Chine est admise à l'OMC et en 2002, les Etats-Unis ferment leur dernière mine de terres rares. L'idée était qu'avec la mondialisation du commerce, chacun se spécialise dans les domaines où il a un avantage comparatif, et on assure un libre-échange de biens et services.

Mais il y a eu un boom sur les matières premières, une demande en hausse. Dès 2008-2010, des pays dont la Chine ont imposé des restrictions à l'exportation. Des pays importateurs ont porté plainte devant l'OMC, qui a statué en donnant tort à la Chine. En 2015, la Chine a annoncé qu'elle allait éliminer ses restrictions à l'exportation, mais ça montre qu'elles deviennent un instrument de politiques économique et étrangère. -On dépendait des énergies fossiles avec le Moyen-Orient et là on dépend, pour la transition énergétique, quasiment totalement de la Chine ? -Attention, on a encore 80 % des énergies mondiales consommées qui viennent des énergies fossiles, avec le charbon comme principale source d'électricité. La transition doit être rapide, vu l'urgence climatique, et on voit une ruée sur ces minerais et métaux essentiels, aussi pour les nouvelles technologies, y compris dans le secteur de la défense.

-La Chine a les réserves, mais aussi les usines pour faire de la valeur ajoutée: les batteries, les panneaux solaires... Ce n'est pas le cas d'autres pays, comme la Bolivie, qui a d'énormes réserves de lithium, mais rien en valeur ajoutée ? -La Chine a une politique industrielle ambitieuse. Ils ont exigé, des investisseurs étrangers, d'avoir un transfert de technologies, et pas seulement une exploitation de la main-d'oeuvre bon marché.

La Bolivie est le pays qui a les plus grosses réserves de lithium et a essayé de développer l'extraction de manière nationale, sans succès. Aujourd'hui, les investisseurs étrangers, notamment chinois, viennent extraire le lithium, en proposant directement des activités de valeur ajoutée, comme la production de batteries sur place. -C'est recevable pour le gouvernement bolivien de dépendre de la Chine ? -Le pays choisit l'investisseur qui l'intéresse. L'essentiel, c'est que ces pays qui ont beaucoup de matières premières ont trop souvent souffert de la malédiction des ressources: des richesses énormes sous le sol, mais une population pauvre. Les Etats rentiers sont souvent défaillants et il faut diversifier l'économie. Si la Bolivie arrivait à obtenir des investissements non seulement pour extraire le lithium, mais aussi pour le transformer pour produire des batteries, voire des véhicules électriques, le pays pourrait monter en gamme dans la chaîne de valeur.

-La demande va exploser, on annonce une multiplication par 40 pour le lithium. Ca va devenir rentable, d'où les projets qui se multiplient que ce soit en France ou en Suède. Ces pays retrouvent des mines ? -Oui, on avait abandonné les activités minières autour de nous. Avec cette ruée sur des minerais et des métaux stratégiques, on va voir une multiplication des projets, car les cours ont augmenté et ça devient rentable. Mais ça va rester sans doute plus cher que de produire ces ressources en Asie, il va donc falloir voir comment ça se répercute dans les intrants pour l'industrie électronique ou les véhicules électriques.

Ils vont bénéficier d'une diversification des sources d'approvisionnement, mais avec des coûts peut-être plus élevés. -Macron a raison de dire: "On a pas de pétrole, mais du lithium" ? -Effectivement, il y a du lithium et un intérêt à l'extraire. Ce qui est très important, c'est que dans les pays en développement, ces extractions se font souvent dans des conditions sociales et de travail exécrables et de pollutions inacceptables. Il est essentiel d'investir pour produire de manière socialement digne et écologiquement respectueuse. C'est un immense défi, qui va ajouter des coûts à la matière première extraite.

-Aussi, les projets d'usines de batteries, ce sont peut-être les Etats-Unis qui vont les récupérer grâce à la politique protectionniste de Biden et son "Inflation Reduction Act". On se dirige vers une guerre commerciale USA-Europe ? Ils vont attirer toutes les industries de la transition énergétique ? -Cette loi est mal nommée, car c'est une loi de subventions dans le cadre d'une politique industrielle pour favoriser le passage à des énergies renouvelables. Les industries américaines vont en bénéficier. Le Canada et le Mexique ont demandé des exceptions, l'Europe veut demander la même chose et pourrait saisir l'OMC pour contester ces subventions.

On pourrait voir des Tesla, dont les batteries sont subventionnées, ce qui ne serait pas le cas de VW ou Renault. -La question environnementale est au coeur de la transition énergétique, mais ces projets miniers suscitent des oppositions parmi les populations locales. On se retrouve après ce sujet.

-Des milliers de manifestants bloquent les grandes routes de Belgrade et d'autres villes serbes. Il y a un peu plus d'un an, quasiment chaque week-end, ils protestaient contre un grand projet minier à l'ouest du pays. Dans la vallée du Jadar, le géant anglo-australien Rio Tinto projetait d'y exploiter l'une des plus importantes réserves de lithium en Europe. -Rio Tinto fait des ravages. Quand ils estiment que le minerai est épuisé, ils quittent le territoire, dévasté. -Face à l'opposition des habitants, le gouvernement a renoncé à son projet.

En France, cette commune bretonne craint aussi de voir son site naturel protégé détruit. Un important gisement de lithium a été découvert il y a 5 ans. -C'est indispensable de le garder vierge de toute exploitation. -Le lithium, composant phare des batteries électriques, a un rôle clé dans la transition énergétique. Mais l'impact environnemental de son extraction est de plus en plus décrié.

Dans ce désert de sel en Bolivie, pour extraire le précieux métal, d'énormes quantités d'eau sont puisées dans le Rio Grande pour alimenter ces immenses bassins d'évaporation, au détriment des cultures et des populations locales. -L'extraction de lithium peut contribuer à la lutte contre le changement climatique. Mais si ça se fait de manière excessive, on peut aboutir au résultat contraire. -L'extraction minière génère des risques considérables: contaminations des sols et des nappes phréatiques, pollution de l'air, production de déchets dangereux pouvant contenir des métaux lourds et des matières radioactives. Même constat pour l'extraction du cobalt. En RDC, ces mineurs travaillent à mains nues dans les carrières et des sites emploient de nombreux enfants.

Pour limiter les impacts sociaux et sur l'environnement, beaucoup misent sur le recyclage de ces métaux. Mais les différences sont considérables selon le matériau. Le lithium et les terres rares ne sont quasiment pas réutilisés en raison d'un processus de recyclage difficilement rentable. -Le recyclage est trop coûteux, mais pourtant indispensable si l'on veut assurer notre indépendance sur les pays producteurs. -Oui, avec plus de 54 mios de tonnes de déchets électroniques mondialement il est essentiel de recycler autant que possible les matériaux.

D'abord, pour éviter les pollutions et pour les réutiliser. Hélas, aujourd'hui, les taux de recyclage sont insuffisants, notamment pour les terres rares et le lithium. -Pourtant, une directive européenne impose aux fabricants de recycler.

On en est qu'à 10 %, que faut-il faire de plus ? -Il appartient à l'Etat de mettre le cadre réglementaire et de permettre facilement à tout un chacun de recycler les déchets. Pour les consommateurs, on peut prendre plusieurs mesures: tenter de réparer nos appareils plutôt que les jeter et en racheter, essayer d'acheter des appareils solides dans des magasins qui assurent la reprise et le recyclage. Il y a toute une série de responsabilités partagées, avec un rôle clé à jouer pour l'Etat. -On parle aussi de risques de pénuries.

Dans ce portable, 6 des 36 métaux qui le composent risquent de se retrouver en pénurie d'ici la fin 2050 ? Le recyclage est d'autant plus essentiel ? -Oui, mais ce qui va être difficile tant pour les investisseurs que pour les entreprises, c'est l'émergence de substituts aux terres rares ou au lithium, peut-être, des chercheurs y travaillent. Il est donc difficile de dire si les terres rares indisponibles seront toujours nécessaires, mais c'est un risque. -Il y a peut-être une nouvelle génération de terres rares qui va rentrer dans la fabrication des objets qui en ont besoin ? -Il y a des recherches avec l'usage de la nanotechnologie, qui permettrait de produire des batteries sans terres rares. Pour le cobalt, certains regardent si ont peut le remplacer par le sodium ou d'autres minerais.

On va voir des innovations. Le plus gros espoir porte sur les batteries à hydrogène. Pour l'instant, la production d'hydrogène est trop énergivore et donc polluante. Des chercheurs travaillent à la production d'hydrogène à base d'énergie solaire. -On parlait aussi des risques environnementaux et pour la santé.

Les dirigeants de ces entreprises nous assurent que tout sera fait dans les règles, faut-il leur faire confiance ? -Dans mes recherches dans des pays en développement, très souvent, les communautés locales sont laissées à elles-mêmes face à des compagnies minières. Ca débouche sur des confrontations violentes entre elles et les compagnies, soutenues par les forces de l'ordre. Il faut donc que l'Etat joue son rôle de réglementation et de vérification, et son rôle d'intermédiaire. Si on regarde le Pérou ou l'Argentine par rapport à des mines d'or, si on a une culture démocratique, il y a moyen d'exprimer les préférences de la population, comme ne pas avoir une mine dans une région donnée par vote populaire, plutôt que de recourir à des manifestations qui, au Pérou, ont débouché sur de nombreux morts et blessés. -Merci, Gilles Carbonnier, c'était un plaisir de vous recevoir. On va continuer à s'intéresser à ce nouvel or noir.

-Merci à vous. -Un trésor gît dans les abysses de l'océan Indien: 380 mios de tonnes estimées de nodules polymétalliques d'une valeur de 110 mias de dollars que l'Inde a obtenu l'autorisation d'exploiter. D'autres projets se multiplient malgré les risques de détruire un milieu fragile. -Entre Hawaï et le Mexique, cette compagnie canadienne teste un robot d'un nouveau genre.

A 4'000 m de profondeur, cet engin collecte ces étranges dépôts qui tapissent les fonds marins. Ces nodules forment d'immenses réserves inexploitées de métaux indispensables à la construction de batteries électriques, d'éoliennes ou de panneaux solaires. C'est la plus convoitée des zones qui regorgent de ces métaux, d'une valeur estimée à plusieurs centaines de mias de dollars. De précieux minerais qui côtoient un écosystème méconnu.

Depuis plusieurs années, Geomar étudie pour l'Europe l'impact que représenterait leur exploitation. Car les collecteurs laissent des traces: celle-ci a plus de 20 ans et quasiment aucun organisme n'est revenu. -Pouvons-nous nous permettre ces dommages pour nous assurer l'accès à ces matières premières ? Si c'est non, alors il faut réfléchir à d'autres technologies ou à modifier nos modes de consommation. -Des ONG diffusaient début janvier ces images du bateau d'exploration canadien. Ces liquides noirâtres sont potentiellement chargés de métaux lourds.

L'entreprise assure qu'ils ne représentent aucun risque. Greenpeace a organisé plusieurs interventions dans la zone. -Nous ne resterons pas à regarder des sociétés minières piller les fonds marins et décimer la biodiversité pour le profit ! -En marge de la conférence des Nations unies sur les océans, des centaines de manifestants réclamaient un moratoire. -C'est un risque énorme pour les océans, cela ajouterait aux dommages que nous avons déjà créés: pollution, surpêche, changement climatique.

-Des pays soutiennent un moratoire de précaution. Une position récemment partagée par la France, qui possède le deuxième domaine maritime mondial, après les USA. -Les océans doivent être une nouvelle frontière pour la coopération et le multilatéralisme. -20 Etats et compagnies sont déjà dans la course.

Une trentaine de licences d'exploration ont été délivrées par l'autorité internationale des fonds marins, qui réglemente ces prospections. Des permis d'exploiter pourraient même suivre cette année. -1992, on en était qu'aux balbutiements de la voiture électrique, seuls quelques prototypes très chers permettaient d'entrevoir le potentiel des batteries.

Pour notre séquence "Ce jour-là", nous avons retrouvé ce sujet diffusé le 5 mars 1992 à l'occasion du Salon de l'auto de Genève. Archives -L'automobile tue l'automobile. On rêve de véhicules silencieux et non polluants. La solution serait-elle la voiture électrique ? Une voiture qui commence à ressembler à une vraie auto. Les grands constructeurs s'y intéressent de plus en plus, mais ces modèles ne sont que des prototypes, seules quelques voitures sont prêtes à être produites en petite série. Elles ne pourront circuler qu'en ville ou la banlieue proche, car la voiture électrique est limitée par ses batteries.

Leur autonomie est d'une centaine de km seulement. Elles sont généralement à base de plomb et pèsent donc très lourd. De plus, elles ne supportent qu'un nombre limité de charges et décharges, et doivent être changées tous les 10'000 km. Des véhicules peut-être pas aussi écologiques qu'on veut nous le dire: il faudra fournir l'électricité supplémentaire destinée à les alimenter.

Et quelles substances toxiques produira le recyclage des batteries et à quels coûts énergétiques ? Certains écologistes croient plus au développement d'une voiture classique ne consommant que très peu d'essence. -Il est plus sage et sûr de parier sur ce que l'on sait faire que de proposer des solutions très belles sur le papier, mais dont la réalisation est très discutable à grande échelle. -Un rêve aussi vieux que l'invention de l'auto, qui ne pourra se réaliser que si la décision politique est prise d'interdire le centre des villes aux voitures à essence ou si une découverte révolutionnaire était faite pour les batteries. -Il n'y a pas que les fonds marins qui sont l'objet de convoitise pour les métaux stratégiques, le Groenland aussi. Il abriterait 12 à 25 % des ressources mondiales. Une centaine de licences d'exploration des sous-sols ont déjà été accordées par le gouvernement de l'île dépendante du Danemark, malgré des oppositions pour des projets antérieurs.

Ceux qui ont vu la série "Borgen" savent aussi que l'exploitation du gaz et du pétrole y est interdite. Mais une start-up financée par Bill Gate et Jeff Bezos a lancé ses premiers forages en s'appuyant sur l'intelligence artificielle. On peut se demander si l'intelligence ne serait pas d'y renoncer sur cette île très fragile. Merci d'être fidèles à "Géopolitis".

La semaine prochaine, émission consacrée à l'Ukraine, un an après le déclenchement d'une guerre d'invasion par la Russie. Portez-vous bien ! Sous-titrage SWISS TXT

2023-02-12 11:31

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