C ÉTAIT VRAIMENT MIEUX SOUS JOSPIN

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Bon alors, qu'est ce qu'on leur dit en intro ? Hé, on fait Jospin, on fait Jospin, donc on accélère, on a pas le temps de faire une intro. Non, mais tu pourrais dire bonjour au moins. Oui, bonjour. Allez, Jospin. Mesdames messieurs, bienvenue. Si on vous dit Lionel Jospin, qu'est ce qui vous vient à l'esprit ? On pense au charisme, au charme, à la prestance, à l'autorité, à la masterclass permanente le flow, le swag, ça dépend de votre génération, mais moi en tout cas, les premières images qui me viennent à l'esprit quand on parle de Lionel Jospin, c'est surtout une image sur laquelle il n'est pas : Dans quelques secondes il est 20 heures, voici notre estimation du résultat du premier tour de l'élection présidentielle.

En tête, Jacques Chirac, 20% des voix, énorme surprise, Jean-Marie Le Pen semble devoir être le second avec 17% des voix. Évidemment le 21 avril 2002, tout le monde s'en souvient, Certes, c'est une branlée, mais la encore, quelle classe, jusque dans l'échec, ça a une autre gueule que la tête à Janluk en 2017. J'assume pleinement la responsabilité de cet échec et j'en tire les conclusions en me retirant de la vie politique après… Après la fin… Après la fin de l'élection présidentielle.

Mais bon Jospin c'est pas que ça. Avant le 21 avril, il a quand même été premier ministre pendant 5 ans. C'est un record de longévité pour un premier ministre de gauche, c'est pas rien. Il a aussi été le premier secrétaire du PS pendant tout le premier septennat de Mitterrand, deux fois candidat à la présidentielle, il a donc perdu une fois de moins que Jean-Luc, Par contre, comme Jean-Luc c'est un ancien trotskyste, Lionel Jospin, ce qui n'est pas exceptionnel pour un socialiste de sa génération.

Beaucoup de militants d'extrême gauche sont rentrés dans le rang dans le courant des années 70, à mesure que s'éloignaient les espoirs révolutionnaires de Mai 68. En 81 avec la victoire de Mitterrand, Jospin, qui est aussi un énarque, n'aura donc aucun problème à trouver sa place au sein du PS, énorme machine qui a besoin d'énormément de cadres. Les Français l'ont vraiment découvert le 10 mai 1981, c'est le jour où il s'affirme à la tête du Parti socialiste à la place de François Mitterrand. C'est le jour où il appelle les Français à fêter la victoire place de la Bastille.

Toute une époque. Ensuite il sera ministre de l'éducation nationale, entre 88 et 92. Il a aussi été conseiller de Paris et ne l'oublions pas, conseiller général de Haute-Garonne, pendant 13 ans et 6 mois. Tout le monde s'en tape Usul.

Bon, alors à ce moment là on se tape de tout. Genre, les 35 heures, tout le monde s'en tape, peut-être ? Oui, bon alors ok, on va parler des 35 heures. Les 35 heures ont été adoptées quand il était premier ministre, D'ailleurs aujourd'hui, on va surtout se pencher sur la période durant laquelle Jospin était au pouvoir On va s'y pencher, parce que cette période symbolise tout le paradoxe de l'héritage politique de Jospin. Que garder de lui ? Jospin c'est un homme politique à qui la gauche reproche un nombre record de privatisations, la nomination de Chevènement à l'Intérieur, bref une ligne trop centriste sur bon nombre de sujets, mais c'est aussi un des derniers hommes politiques qui a essayé de gouverner à gauche dans ce pays, avec les emplois jeunes et surtout, on en parlait, les 35 heures.

Hé oui, les 35 heures, parce que je vous rappelle que normalement, c'est ça la gauche, quand elle arrive au pouvoir, elle est censée soulager les travailleurs en réduisant le temps de travail. En nous faisant travailler moins longtemps pour le même salaire, la gauche renchérit le coût du travail. Et elle rééquilibre ainsi le rapport capital-travail. Ce rééquilibrage on peut le faire de plein de façons : On peut faire comme le Front Populaire et proposer les congés payés qui vont faire baisser le temps de travail à l'année. On peut proposer de baisser le temps de travail sur la vie en abaissant l'âge de la retraite.

Bon bah, Lionel Jospin, lui, il choisit de s'attaquer à la durée hebdomadaire du travail. Et bien, c'est très bien, ça marche bien. Mais pour faire ça il faut aller au clash avec le patronat. Ils sont tous hostiles à la loi sur les 35 heures et ils sont venus lui dire en nombre. Exercice de pédagogie difficile pour le ministre de l'Emploi.

Devant les patrons inquiets, Martine Aubry tente de calmer le jeu. Une réponse au futur président du CNPF. Ah c'est pas sous Hollande qu'on aurait vu ça, Sous Hollande, il fallait chouchouter les entreprises, il fallait des cadeaux, des crédits d'impôt recherche, des CICE, des lois El-Khomri.

Il fallait aimer l'entreprise. Baisse du coût du travail partout. Il faut baisser le coût du travail, parce qu'il y a un problème du coût du travail dans notre pays. Les applaudissements et même des chefs d'entreprise debout à l'issue du discours de Manuel Valls à l'université d'été du MEDEF.

Le Premier ministre s'est fait ovationner. Une phrase aura retenu l'attention : J'aime l'entreprise. Vous voyez, lui il voulait baisser le coût du travail, il le dit. C'est l'inverse de la démarche des 35 heures.

Donc logiquement, si Valls se faisait applaudir, vous imaginez bien que Martine Aubry quand elle a imposé les 35 heures, et bien elle s'est fait chahuter et puis menacer avec les arguments habituels du patronat. Il est clair que si on pénalise le travail par rapport à d'autres pays où il n'y a pas de fiscalité, où que les salaires sont en bas, vous allez tuer toutes ces industries. Je suis personnellement scandalisé par la manière dont a été prise la décision des 35 heures et je trouve regrettable que le gouvernement qui invite sans cesse les entreprises à la négociation ne se donne pas la peine de l'exemplarité.

Ah bah ça alors, Les méchants socialistes, ils n'ont pas été exemplaires avec les gentils patrons du MEDEF ? C'est vrai qu'ils leur ont un peu fait à l'envers, Martine Aubry leur a dit de venir, que cela allait être une discussion. Et là, Jospin leur a dit, « on va faire les 35 heures ». C'est réglé. L'épisode est raconté dans ce bouquin « Jospin : l'énigme du conquérant » de Gérard Leclerc et Florence Muracciole, Jospin avait donc convoqué une conférence nationale sur l'emploi, les salaires et le temps de travail et puis quand il a pris la parole au bout de dix feuilles de texte, badaboum : Stupeur. Le voilà qui annonce, au sujet du temps de travail, un projet de loi qui « fixera l'objectif et la durée légale à 35 heures au 1er janvier 2000 pour les entreprises de plus de 10 salariés ».

Tous les regards se tournent vers la délégation patronale. Bon autant vous dire qu'elle n’était pas très contente la délégation. D'autant plus que Jean Gandois, le patron du CNPF, c'est à dire le MEDEF de l'époque, il la connaissait Martine Aubry, il lui faisait confiance.

Il était venu « à la cool », il s'est senti un peu trahi. Ça, c'est aussi raconté dans le livre. En tout cas, Lionel Jospin a à peine terminé son dernier feuillet que le patron des patrons bondit de sa chaise, et se tourne vers Martine Aubry, le doigt accusateur : «Tu m'as berné, je t'aurai.» Et cette réforme au forceps des 35 heures va être si traumatisante pour le CNPF que son président va démissionner et que l'organisation va changer de nom pour devenir le MEDEF que l'on connaît, en se rassemblant autour d'une ligne plus dure, incarnée par son nouveau dirigeant, Ernest Antoine Sellières.

Alors pourquoi il a fait ça Jospin ? C'était ambitieux, il a fallu aller à la confrontation, c'était risqué quand même. Oui, il a fait ça, parce que simplement, c'était une des promesses dans le programme. C'est vrai que c'était un peu le genre de type qui tient ses engagements, sous prétexte que c'est « dans le programme » Et puis surtout, ça inscrit pleinement son gouvernement dans la longue histoire de la gauche, du mouvement ouvrier et des acquis sociaux.

Compter parmi ceux qui ont réussi à diminuer la durée du temps de travail, à gauche, c'est pas rien, et les militants le sentent. « L'impact psychologique est considérable dans la majorité plurielle. Qu'ils soient socialistes, communistes ou verts, les députés de gauche s'identifient aux 35 heures dans lesquelles ils voient le projet phare de la législature. Henri Emmanuelli qui inaugure une maison de retraite à Soustons, y rencontre « pour la première fois depuis longtemps, engouement et fierté chez les militants, un peu comme au temps du Front Populaire ». Les 35 heures de la part de Jospin c'était aussi un gage donné à ses alliés de la gauche plurielle, et notamment aux communistes. Et vous le savez sûrement, les socialistes n'étaient pas tout seuls quand il a gagné les législatives en 1997.

Vous savez, c'était après la fameuse dissolution de l'Assemblée par Jacques Chirac. Je voulais dissoudre l'assemblée, j'ai dissous la droite. Putain quel con ! Mais quel con ! Et bah, quand le PS gagne les législatives c'est avec des alliés. On va regarder ensemble à quoi ressemble cette Assemblée enfin gagnée par la gauche.

71,07 % de votants pour une nouvelle alternance, la France s'apprête à vivre sa troisième cohabitation en dix ans. La gauche redevient majoritaire à l'Assemblée nationale dont voici le nouveau visage. 38 députés pour le parti communiste, 21 pour les divers gauches et 253 pour les socialistes et leurs alliés radicaux. Pour la première fois de leur histoire, les verts, ils sont sept, font leur entrée dans l'hémicycle. On peut s'arrêter un instant sur l'image, 253 députés ça ne suffit pas pour gouverner, les socialistes en 97, ils ont comme Macron aujourd'hui une majorité relative, ils vont avoir besoin à l'Assemblée au moins des voix du groupe PCF pour atteindre les 289 élus nécessaires. Et ils devront aussi compter sur le soutien des divers gauche et des verts.

L'accord électoral qui a permis cette assemblée est moins contraignant que celui qui a uni la NUPES, il reposait surtout sur le désistement en faveur du mieux placé au premier tour. C'est-à-dire que concrètement, il n'y avait pas un bulletin Gauche Plurielle ! Même au premier tour, il y avait au moins le PS, il y avait un PCF et même parfois un candidat vert, un candidat radical. Et malgré tout ça, ça a quand même marché Et oui, parce que la gauche plurielle c'est pas juste un accord électoral, c'est un projet de longue date, qui avait mûri pendant des années. La gauche plurielle, ça a été une gestation lente puisqu’on a commencé dès 1994 sous Michel Rocard. Jean Christophe Cambadélis et moi-même avons lancé les assises de la transformation sociale. Ce que nous avons fait en trois ans, ils ont été, par les circonstances ou leur désir, amenés à le faire en trois semaines.

Donc, c'est plutôt un accouchement au forceps. Donc ça faisait déjà trois ans que la gauche se rencontrait pour tenter de s'unir. Mais même un peu plus que ça, parce que, en fait, dès 93, après la branlée aux législatives, c'est Rocard, qui alors dirige le PS, et qui va proposer un machin pour renouveler la gauche : « les assises de la transformation sociale » C'est vrai qu'en général, quand on ne sait pas quoi faire on propose un bidule, des assises, une convention, enfin un truc du genre. Et la naissance de tout ça, qui est vraiment la naissance de la gauche plurielle, elle est racontée là-dedans « Jospin et Compagnie : histoire de la gauche plurielle 1993 - 2002 » par Cécile Amar et Ariane Chemin En 93, Michel Rocard réunit donc Valls, Moscovici et Cambadélis et leur confie une mission : « Il leur livre son plan de campagne pour sauver un parti au bord de la scission et leur confirme que le big bang n'est plus la priorité.

Désormais il veut préserver l'appareil socialiste ». L'idée c'est de remettre le PS au centre du jeu alors qu'il sort d'une lourde défaite, et aussi de l'ouvrir au plus grand nombre de partenaires. Et c'est Cambadélis qui va devoir aller voir tout le monde, Michel Rocard lui dit : « Tu as carte blanche, mais c'est quasi mission impossible » Évidement, deux septennats de Mitterrand et une défaite aux législatives ça laisse des traces, et c'est compliqué par exemple de renouer avec les communistes qui ont le seum de s'être fait rouler dessus par tonton mitrand qui a dégagé leurs ministres en 1984, et qu'il n'a plus jamais réinvités au gouvernement. Et pourtant en fait c'était le bon moment pour aller leur reparler : à cette époque les communistes essayent de se réinventer, si peu de temps après la chute de l'union soviétique, ils sont un peu perdus et recherchent un nouveau souffle. Cambadélis est donc allé rencontrer Robert Hue, et celui-ci lui a affirmé que son parti était « ouvert à toute réflexion visant à construire le rassemblement des forces de gauche » Voilà, donc pas rancuniers les cocos, en même temps c'est une nouvelle génération C'est une nouvelle époque même, Marchais qui a passé le flambeau à Robert Hue en 1994, mourra en 1997, l'année même de la victoire de la gauche plurielle aux législatives.

C'est une page de l'histoire des communistes qui va se tourner. Donc ça y est, la gauche se reparle, une nouvelle génération d'hommes et de femmes vont faire connaissance, et ils en avaient bien besoin. Vous imaginez bien que si le PCF ne savait pas où il en était, le PS savait encore moins où en était le PCF. Et pour ce qui est des verts c'est encore plus compliqué, personne les connaît, ils passent leur temps à s'engueuler. Pour Jospin, c'est juste des hippies, des gens qui n'ont pas de culture du mouvement ouvrier et aucune culture commune avec le reste de la gauche, gauche de laquelle ils commencent seulement à se rapprocher. Les verts ils sont bizarres de toute façon, souvenez-vous de notre épisode sur René Dumont. C'était une autre dimension.

La rencontre entre Dominique Voynet et Lionel Jospin se fera plus tard, en 1996, mais ça va le faire et les deux formations parviendront à un accord qui réservait une trentaine de circonscriptions pour les verts qui était malgré tout un petit parti. Et il y a aussi un volet social à l'accord, les deux partis ont signé un texte d'orientation dans lequel ils se mettaient d'accord sur un sujet important, les 35 heures. Donc on a déjà des rapprochements assez évidents finalement entre le PS, le PCF et les Verts... Mais il y a cinq composantes dans la gauche plurielle, les deux autres, c'est le Mouvement des citoyens de Jean-Pierre Chevènement que vous connaissez maintenant et le Parti Radical de Gauche. Les radicaux de gauche ce sont les alliés traditionnels du PS, on les met un peu de côté, parce que bon, ils sont toujours plus ou moins là, ils regardent, on sait pas ce qu'ils font, y a pas grand chose à en dire...

Sauf si vous voulez qu'on vous fasse un épisode des portraits sur Jacques Dondoux, qui a été secrétaire d'Etat au commerce entre 1997 et 1999. Non, je pense pas qu'ils veulent ça en vrai. Non, non, par contre peut-être que vous voulez qu'on développe sur Chevènement.

Parce que, vous vous doutez bien de Lionel Jospin et Chevènement, ils se connaissaient ! Ils se connaissaient, puisqu'ils s'étaient affrontés dans les années 80 lorsqu'ils étaient tous les deux au Parti socialiste. « Au PS, Lionel Jospin a été systématiquement utilisé pour réduire l'influence du Ceres, et est toujours monté dans l'appareil contre Jean-Pierre Chevènement. Mais ils partagent un rationalisme à tout crin et les mêmes distances avec le mitterandisme » Chevènement, donc, sera nommé ministre de l'Intérieur, il va incarner le visage le plus droitier de cette gauche plurielle, avant de démissionner comme fait toujours Chevènement à un moment.

Bon, vous avez maintenant une petite idée de l'étrange attelage qui va composer la gauche plurielle, et bien, vous vous doutez bien qu'une famille recomposée comme ça, c'est pas facile à gérer. L'idée, c'est de faire vivre notre couple singulier de la majorité, parce que c'est un couple à cinq, le mieux possible, mais ce n'est jamais facile, déjà à deux, c'est compliqué, à trois, c'est inattendu, alors à cinq, c'est miraculeux. « miraculeux » en effet, d'autant plus que le PS aurait pu prendre une toute autre direction. Bah oui, parce qu'avant 95, il y a des tensions à gauche, il n'y a pas que les cocos et les verts. Rien qu'à l'intérieur du PS, il y a aussi une aile plus droitière, qui veut clairement une alliance avec le centre et qui est incarnée par Michel Rocard. Michel Rocard qui se préoccupe surtout de deux sujets : Le premier, c'est tout le champ social, chômage, mais pas seulement chômage, qui doit recevoir une vraie priorité, le second, c'est l'Europe.

Si nous avions des priorités qui étaient le système scolaire ou l'appui au tiers-monde, je ne suis pas sûr que la gauche trouverait des alliés ailleurs. Mais sur les deux priorités du champ social et de l'Europe, il est clair que dans ce qui n'est pas la gauche, dans la droite française et notamment vers le centre, il y a quantité de gens qui peuvent partager ces priorités. Eh oui, il y a toute une partie du PS qui était tout à fait ouverte à l'idée de construire une majorité en ouvrant vers le centre voire la droite, et des comme ça, il y en a toujours eu au PS. Rocard en avait rêvé et c'est Macron qui a fini par le faire. Dans l'extrait qu'on vient de voir, Rocard, il revient tout juste des assises de la transformation sociale de 1994. C'est les fameuses retrouvailles de la gauche dont on vous parlait un peu plus tôt.

Et donc fatalement Rocard, à ces assises, avait essayé de pousser son agenda plutôt libéral. Son grand truc était de soutenir la candidature de Jacques Delors, qui était le chouchou du centre gauche et des médias. Delors, c'était un homme raisonnable, calme, libéral, européen, très apprécié par la droite. Qu’il y ait un candidat de transformation sociale, de progrès qui dise des choses claires et propose nettement et vous verrez qu'il rassemblera large. Mais j'ai déjà l'assurance, après la journée d'aujourd'hui, que l'essentiel des forces vives de la gauche sont prêtes. Vous avez la conviction que les centristes peuvent venir derrière Jacques Delors, si Edouard Balladur se présente ? Écoutez, pas seulement des centristes, les Européens fervents et les gens qui ont une sensibilité sociale, ça ne se définit pas seulement à travers ce mot.

Delors, il était plutôt haut dans les sondages, et on considérait même qu'il était capable de battre Balladur et Chirac. Et vous ajoutez à ça que les sujets sur l'Europe étaient très à la mode. On sortait de Maastricht, on se dirigeait tout droit vers la monnaie unique. Delors avait une expertise sur ces sujets. Il était très apprécié, y compris au sein du PS où son poids politique n'était pas du tout négligeable.

Delors est un excellent candidat et je suis sûr qu'il fera un très bon président. L'appel général qui est fait à la candidature de Jacques Delors sera, je crois, pour lui un soutien et ma foi, cela augure bien de la suite. Jacques Delors a vocation à rassembler tout le monde, tous les hommes de progrès, ceux qui veulent le mouvement, ceux qui ne veulent pas se satisfaire d'une France conservatrice et repliée sur elle-même. Mais bon, rien ne va se passer comme prévu. Si d'aventure Jacques Delors renonce.

Et bien, on verra à ce moment-là, mais cela m'étonnerait cependant, mais ça peut arriver. J'ai décidé de ne pas être candidat à la présidence de la République. Le candidat de la gauche à la présidentielle de 95, ce sera donc Lionel Jospin, élu en congrès face à Henri Emmanuelli, un mitterrandien qui incarnait plutôt l'aile gauche. Mais Jospin, s'il n'est pas de l'aile gauche du PS, ce n'est pas non plus un rocardien, lui, il n'est pas du tout pour l'union avec le centre et la droite. Et donc, ce candidat inattendu va finalement faciliter l'union de la gauche en 97. Mais là on y est pas encore, là on est sur la présidentielle.

Cette élection ça a été un scrutin perdu pour la gauche, certes, mais cette défaite n'a pas été aussi traumatisante que celles aux législatives de 1993. La défaite était presque considérée comme « naturelle » après 14 années de François Mitterrand au pouvoir. D'ailleurs, Lionel Jospin lui-même n'a pas semblé trop surpris d'avoir perdu, à se demander s'il avait lui-même pensé un seul instant qu'il pouvait gagner. Moi je m'attendais plutôt à un score de ce type, enfin… je crois qu'il serait… il se situe… Évidemment, j'aurais aimé faire 49… 48… Mais, oui, oui… « J'aurais aimé faire 49 ou 48 ». Non mais Lionel, c'est quoi ça ? Il faut croire en toi un peu bonhomme là ! Il faut prendre des vitamines, vous êtes un peu mou ! En plus, il est arrivé en tête du premier tour, alors que Dominique Voynet et Robert Hue se présentaient aussi.

La vraie victoire de Jospin, elle va arriver deux ans plus tard, aux législatives. Et vous allez voir que, même quand il gagne, c'est pas… Whou ! Bon, allez, moi je vais aller me boire un whisky Perrier avec beaucoup de glace. Tu vas prendre quelque chose quand même… Un petit whisky aussi… Pour Patrick… pour mon suppléant… whisky. Waouh, un whisky Perrier carrément, non mais c'est la déglingue, c'est un ouf malade le type. T'en sais rien, ça se trouve, c'est très bon le whisky Perrier. S'il aime ça Lionel, c'est que ça ne doit pas être mauvais.

Et c'est donc dans ce contexte que va pouvoir se réaliser ce miracle de la Gauche plurielle. Il aura fallu des gens qui se rencontrent qui se parlent pendant des années, une gauche en recomposition avec une nouvelle génération, une candidature de Jospin inattendue qui va placer le PS un peu plus à gauche que ce qu'il aurait été si Jacques Delors s'était présenté, et il aura fallu aussi un petit coup de pouce du destin avec cette dissolution surprise de Jacques Chirac qui va déclencher les législatives un an plus tôt que prévu. Cette arrivée au pouvoir est une surprise, mais les attentes des électeurs sont grandes. Qu'il ne se plante pas surtout, parce qu'ils n’ont pas le droit à l'erreur. Je crois que nous savons pertinemment que cette confiance est très exigeante et que nous avons une lourde responsabilité, mais nous essaierons d'être à la hauteur de ces exigences. Et les attentes des électeurs de gauche ne seront pas toutes déçues ! Hein, Lionel Jospin disait souvent qu'il avait le gouvernement le plus à gauche d'Europe.

Mais le plus à gauche d'Europe, à cette époque, ça ne veut pas dire nécessairement que c'était la turbo gauche. A ces débuts, la coalition ne va pas faire forcément l'unanimité. Déjà la LCR et LO, sont pas franchement emballés, mais ça, c'est normal. Ceux qui n'étaient pas trop chaud non plus c’était la Gauche socialiste, le courant à la gauche du PS auquel appartenait notamment Jean-Luc Mélenchon. Voilà, donc Jospin lui a proposé un secrétariat d'État à Jonluk, et Jonluk, il a consulté ses camarades et il a dit « Non ! » «Le Sénateur de l'Essonne fait la moue devant un simple secrétariat d'État, et profite des cinq minutes de réflexion que lui accorde le Premier ministre pour contacter ses compères de la gauche socialiste.

Quelques-uns comme Gérard Filoche sont pour. Mais la plupart, derrière Julien Dray sont catégoriques. « On a rien à faire là-dedans, ça va se casser la gueule ». Discours qui en dit long sur l'état d'esprit d'une partie des troupes Bon Jonluk finira, après plusieurs refus par accepter de devenir ministre délégué à l'enseignement professionnel.

Mais tout ça pour dire que la ligne Jospin pouvait rendre sceptique y compris des gens à l'intérieur même du parti socialiste. Oui, parce que Jospin, il est quand même social libéral. C'est une ligne qui accepte l'existence du capitalisme, tout en disant qu'il faut quand même le réguler. Mais les critiques telles que celles de Mélenchon restaient minoritaires. Cette gauche raisonnable n'était pas nécessairement impopulaire à l'époque : on a pas encore eu Hollande, on est avant la crise de 2008, c'est les débuts d'internet et de l'économie numérique, les gens sont optimistes, ça va être l'an 2000, on va vers le progrès.

C'est fou, ça paraît irréel. Même ailleurs en Europe, les gens étaient convaincus que la gauche libérale, c'était pas une arnaque. Outre-Manche, le travailliste Tony Blair qui avait théorisé une « troisième voie » entre social et libéralisme, sera élu Premier ministre le 2 mai 1997, soit exactement un mois avant Jospin.

Les deux hommes se connaissent et semblent s'apprécier, Blair a même appelé Jospin quand le socialiste français a gagné aux législatives. Alors que quand le travailliste a gagné, Jospin a essayé de l'appeler, il a pas réussi à l'avoir. Les deux premiers ministres vont jouer la bonne entente, ils vont se rencontrer plusieurs fois, en France, en Angleterre, en vacances, ils vont boire des bières. Monsieur, vous parlez anglais ou français ensemble ? Et bien, on parle les deux, on mixe. Mais, il parle très bien l'anglais.

S'il y a des nuances entre Paris et Londres, Lionel Jospin et Tony Blair eux veulent afficher leur entente et leur décontraction. Le tutoiement est de rigueur, le verre de l'amitié aussi. Jospin peut se trouver critique de Blair en privé, mais il essaye de montrer publiquement qu'il veut créer un pont entre ces deux gauches.

Donc, du coup, publiquement, il faut pas trop dire du mal de Tony Blair, mais Mélenchon, il n'y arrive pas ça, Mélenchon une fois il a dit : « C'est du socialisme à la botte de tous les puissants domestiqués par le fric ». Et Jospin, il a pas aimé. Et du coup il a forcé Jean-Luc à s'expliquer tout seul devant l'Assemblée.

« Le chef du gouvernement laisse l'impétrant seul au micro sous les protestations des élus de la droite [...] » Lorsqu'il revient à sa place, Lionel Jospin lui glisse « tu vois, tu aurais mieux fait de t'abstenir ». Cette entente Jospin/Blair elle est diplomatique, mais elle est aussi en partie idéologique. Sans être aussi libéral que son homologue britannique, Jospin croit tout de même à l'économie de marché. Si nous sommes capables de faire le pari de ce qu'on appelle aujourd'hui l'économie moderne, c'est-à-dire l'économie des nouvelles technologies.

L'économie de marché ? C'est l'économie libérale ? Non, vous êtes contre le marché ? Ah, mais je constate… Très bien… Il se trouve quand même que les socialistes ne seraient pas pour cette économie de marché, ils parlaient de la loi du plus fort et c'était dangereux. Nous sommes pour l'économie de marché, nous ne sommes pas pour la société de marché. Mais tout le monde admet maintenant l'économie de marché, toutes les forces politiques françaises, pratiquement. Et, chose qui pouvait choquer à gauche, Jospin a fini par admettre sur ce plateau que, il fallait laisser faire le marché, que l'Etat ne pouvait pas légiférer sur tout. C'est la fameuse phrase « L'Etat ne peut pas tout », qui lui coûtera très cher. Bon, en vérité, il ne l'a pas prononcée exactement comme ça, mais l'idée est là, c'était à propos d'un plan massif de licenciement chez Michelin, en 1999.

Les salariés existent, il y a des syndicats, il y a une mobilisation, qui peut se mener. Donc je crois qu’il ne faut pas attendre tout de l'Etat ou du gouvernement, il faut aussi que se mobilisent à la fois l'opinion et les salariés de l'entreprise. Bon voilà, c'est pas le gouvernement qui va tout faire pour vous, Jospin pense qu'il faut aussi compter sur la société civile, les salariés, les syndicats. Il compte moins sur la puissance publique verticale que sur la capacité des corps intermédiaires à créer un rapport de force.

Aujourd'hui cette carotte s'appelle « faire confiance au dialogue social ». Autre carotte proposée par Jospin, les privatisations, enfin les ouvertures de capitaux comme disait à l'époque. Ah m'en parle pas, c'est triste. C'est triste, mais on va en parler quand même. Je vous fais la liste, non exhaustive : Il y a eu la privatisation de l'Aérospatiale, qui deviendra ensuite EADS.

La privatisation du Crédit Lyonnais, la privatisation du CIC. Il y a eu l'ouverture du capital d'Air France et celui des autoroutes Sud de France, sans oublier l'ouverture du capital de France Telecom, devenu aujourd'hui Orange. Le très libéral magazine britannique « The Economist » se fendra même d'un article intitulé « France’s strangely likeable government » dans lequel il saluera les privatisations et où il qualifiera la politique française de « gauche réaliste » Et si vous vous demandez comment la pilule des privatisations est passée auprès des communistes et de l'aile gauche du PS, ben c'est pas compliqué, c'est grâce aux 35 heures. En gros ils se sont dit, bon « il a fait un truc de gauche, on peut bien le laisser faire un peu des trucs de droite » C'est vrai que c'est un peu comme le « en même temps » de Macron, sauf que là, il y avait vraiment des trucs de gauche de temps en temps.

Et le plus improbable pour nous aujourd'hui, c'est que ce numéro d'équilibriste, et bah ça va marcher, le gouvernement Jospin atteint une cote de popularité assez impressionnante. Il atteindra même plus de 60% d'opinions positives en 1998, ce qui relève de la science-fiction pour Elisabeth Borne qui n'est pourtant pas beaucoup plus fun que lui. Mais ces bons indicateurs n'empêcheront pas les mouvements sociaux et les revendications de gauche de s'exprimer quand même, y compris dans la rue.

La tête de Turc des sans-papiers s'appelle aujourd'hui Lionel Jospin. Pour le millier de manifestants qui a défilé jusqu'à l'hôtel Matignon aucun doute, le dernier obstacle à la régularisation des 70 000 derniers dossiers, c'est le Premier ministre. On fait cette manifestation pour aider Lionel Jospin à revenir sur son erreur.

Moi je suis là pour dire à Lionel Jospin, je suis très content que vous soyez là, mais faites encore un petit effort. Cet effort, Jospin ne le fera pas, les 70 000 dossiers de sans-papiers restants sur 140 000 initialement présentés n'ont jamais été régularisés. Et malgré la poursuite de la mobilisation avec notamment une grève de la faim des réfugiés, Jospin, qui avait accepté de faire étudier les recours par une commission va durcir le ton : « Pas question de « régulariser tout le monde », a-t-il répété à l'adresse des grévistes de la faim de Paris.

En déniant le droit à la régularisation aux sans-papiers employés « dans un atelier de travail clandestin et qui est le produit d'une filière criminelle », le Premier ministre a assimilé victime et exploiteur, posant le travailleur au noir en complice de son patron. » Et il n'y a pas que les sans-papiers qui vont faire les frais de cette politique parfois dure socialement : malgré un bilan globalement positif sur l'emploi, Lionel Jospin devra quand même faire face à une mouvement historique des chômeurs, notamment pendant à l'hiver 1997-98. Encore une fois, Jospin fera quelques concessions de la main gauche, mais de la main droite, ce sera la répression. Il fera notamment évacuer des bâtiments administratifs occupés par des collectifs de personnes sans emploi. Une décision mal perçue par la coalition de la gauche plurielle, le président du groupe communiste à l'Assemblée Nationale Alain Bocquet dénoncera même « une faute humainement et politiquement grave » du gouvernement. Après y a une astuce, pour excuser les dérives sécuritaires de Jospin, il suffit de dire : « c'est de la faute à Chevènement ».

C'est écrit dans ce bouquin : « En matière de sécurité, comme au sujet de l'immigration, la France de Jospin est celle de Chevènement » Donc voilà, Lionel il a rien fait de mal, c'est tout la faute à Chevènement. Non mais Usul, il faut faire le deuil, il est pas parfait Jospin. Il faut le laisser partir… C'est vrai. Revenons à nos collectifs de chômeurs. Ils demandaient au gouvernement d'améliorer leurs conditions de vie. Ils réclamaient notamment une prime de Noël de 3000 francs.

Et effectivement pour Jospin, la lutte contre la précarité, c'était pas la priorité. La priorité, c'était la bataille pour l'emploi. Toutes ces histoires de précarisation, on allait voir ça plus tard. Nous avons gagné la bataille de l'inflation, il faut gagner maintenant la bataille du chômage.

Nous n'avons plus le problème de la spéculation contre les monnaies avec l'euro. Je pense alors que progressivement, les emplois seront des emplois à durée indéterminée, et en tout cas, nous devrons traiter, non pas alors ces contrats à durée déterminée, mais ce qu'on appelle les emplois précaires. Et ça c'est effectivement une question importante sur laquelle nous allons travailler dans les années qui viennent. Ben oui, la précarité on verra plus tard, on verra ça « dans les années qui viennent », on aura le temps de s'en occuper.

Là le mot d'ordre c'est: moins de chômage grâce à la croissance, et plus de croissance grâce à l'emploi. Et effectivement à l'époque le chômage baisse, grâce aux emplois jeunes mais aussi grâce à une conjoncture économique mondiale favorable. Mais le problème vous le connaissez, cette précarisation des emplois qui était censée être temporaire s'est poursuivie et elle s'est même aggravée plus tard après la crise de 2008. Et ça, il l'avait pas vu venir Lionel.

Et c'est peut être cet optimisme vis-à-vis du capitalisme qu'on pourrait lui reprocher. Certains membres de sa majorité vont d'ailleurs essayer de le faire changer de cap sur ce sujet là, en lui disant que : Oui, peut-être que l'Etat ne peut pas tout, mais enfin il peut quand même un peu. Les communistes participeront par exemple en 1999 à une grande manifestation pour l'emploi, afin de demander au gouvernement des mesures pour lutter contre les licenciements après l'annonce du plan de licenciement chez Michelin. Mais ils le feront tout en essayant de ménager leurs alliés au pouvoir, et en présentant la manifestation comme un acte de soutien et d'encouragement, comme on peut le voir dans ce reportage produit par le PCF : Tous ensemble, tous ensemble, pour l'emploi ! La démonstration a été faite que le mouvement populaire n'est pas un obstacle ni une difficulté pour le gouvernement, mais au contraire la condition de sa réussite.

Car cette mobilisation est indispensable pour faire contrepoids aux pressions de la droite et du MEDEF pour encourager le gouvernement à prendre les mesures que le pays attend de la gauche. Alors que bon, il y avait Arlette Laguiller à la manif, je suis pas sûr qu'elle voyait ça comme un moyen de soutenir Jospin Et pourtant, malgré tout ça, et puis malgré d'autres trucs dont on vous a pas parlé, je ne sais pas, la grève des routiers, Claude Allègre qui a fâché l'éducation nationale, le dilemme Corse. Malgré tout ça, la gauche plurielle va tenir. À l'exception de Chevènement, il se barre. Oui enfin, Chevènement...

La gauche plurielle tiendra pendant 5 ans, malgré ses différences idéologiques parfois importantes, faisant cohabiter des personnages très différents, qui allaient de DSK à l'économie en passant par des ministres écolos ou communistes. Alors certains ont tenté d'expliquer le miracle, rendu possible selon eux par « La méthode Jospin », cette méthode de travail du Premier ministre qui accordait une grande importance à la concertation et à la parole de ses ministres. Alors ça pour le coup je crois que ses alliés n’ont pas été hyper reconnaissants pour sa méthode de travail collégiale, vu qu'ils se sont tous présentés contre lui en 2002. À quel moment est-ce qu'il y a eu un raté dans l'union des gauches ? Nous ne pouvions pas gagner l'élection présidentielle avec cinq candidats de chacun des partis de la majorité plurielle.

Avec le MDC, les radicaux avec moi, j'étais sorti en tête du premier tour. Si vous faites l'addition des votes de ces trois candidats, je serais à nouveau sorti en tête du premier tour de l'élection présidentielle. Ça n'a pas été possible, j'ai fait celui qui n'en veut qu'à soi même.

Et c'est sur ce fameux 21 avril 2002 que va se fracasser l'expérience de la gauche plurielle, une fin traumatisante pour toute la gauche. Et ce que l'on oublie souvent de dire, c'est qu'il y a aussi une gauche radicale qui a fait plus de 10%, au premier tour du 21 avril. Cette gauche, celle de la LCR et de Lutte ouvrière, c'était aussi celle d'Attac, du Monde Diplo, de Pierre Bourdieu, la gauche de gauche altermondialisme. Une gauche très investie dans les mouvements de chômeurs et de sans-papiers, qui avait combattu le gouvernement Jospin. Cette gauche critique avait averti des dangers de la mondialisation néolibérale à marche forcée, elle avait fustigé les privatisations, pointé du doigt la précarisation du monde du travail et l'importance considérable que commençaient à prendre les multinationales et les institutions supranationales auxquelles les socialistes nous invitaient à obéir au doigt et à l'œil.

Seulement voilà, à l'époque la mondialisation, tout ça, c'était le sens de l'histoire. Y'a des règles à respecter, il y a de la concurrence, le monde est un grand village. On ne peut pas faire autrement. Vous voulez faire quoi de toute façon ? Vous savez bien qu’autrement ça ne marche pas.

On a essayé, ça s'écroule tout le temps. Vous l'avez bien vu, il n' y a pas de modèle alternatif. Il n'y a plus qu'un seul cadre, le capitalisme mondialisé et là-dedans on va essayer de faire au mieux, voilà. On privatise parce qu'on a signé des trucs avec les Allemands, Il y a l'euro, il faut bien qu'on se coordonne économiquement avec nos voisins. Faut bien qu'on soit compétitif parce que pour financer notre modèle social, il faut avoir des champions français, une croissance élevée, une économie dynamique. Et ben pour ça autant avoir DSK à l'économie finalement. Ben oui, et plein de gens étaient convaincus par cet argument, et quand on y pense, quand on accepte ces prémices, Lionel Jospin, c'est pas mal comme proposition.

Et puis d'ailleurs, il n'y avait pas que lui, je vous rappelle qu'il y avait le PCF, il avait les verts avec lui. Ça veut dire que d'autres gens acceptaient ce cadre. C'était ça l'ambiance à gauche. Évidemment, les choses ont évolué depuis, d'ailleurs on voit bien que déjà sous Hollande, le PS n'arrive plus à convaincre ses alliés que cette voie est la seule possible. Le PCF n'est pas de la partie, les verts vont se barrer en cours de route, même au sein du PS il va y avoir des frondeurs. Bah évidemment, Hollande, c'était du social-libéralisme, mais il y avait pas le social, il y avait que le libéralisme. Alors, évidemment, derrière, ça donne Macron en fait.

Faut pas s'étonner que plein de socialistes se soient barrés chez lui. On l’a dit, pour Jospin, la gauche allait résoudre tous les problèmes de chômage et de précarité grâce à la croissance. Le quinquennat de Hollande mettra un terme définitif à ces illusions, montrant avec la loi Travail que les socialistes avaient définitivement renoncé à être le camp du monde du travail, il n'est plus question de rééquilibrer le rapport capital travail, on donne tout au capital et la croissance est une fin en soi. Et la gauche va se reconstituer à partir de ça. Notamment avec les insoumis, ça va finir par donner cette fameuse NUPES.

Ce qui fait si peur au bourgeois. Eh oui, parce que tout ce discours social-libéral qui reposait sur l'idée d'une croissance infinie, d'une mondialisation heureuse. Ça sonne bizarre maintenant, à une époque où le dérèglement climatique et l’épuisement des ressources naturelles nous démontrent chaque jour que ce modèle n'est plus soutenable. Sur la question sociale, que penser d'un discours qui affirme que tous les problèmes sociaux seront résolus par le développement économique dans un monde où les travailleurs sont de plus en plus précaires, de moins en moins protégés et où les inégalités explosent ? Au moins sous Jospin il y avait un deal, oui on va rentrer dans la mondialisation néolibérale et dans la modernité, mais au moins on va vous faire les 35 heures, quitte à tordre le bras au patronat, on va pas régulariser tous les sans-papiers mais on va en régulariser la moitié, on va ouvrir des nouveaux droits comme la CMU ou le PACS, bref, on va quand même faire une politique de gauche.

On pouvait critiquer ce compromis, mais force est de constater que le PS tenait ses promesses. Peut-être aussi parce qu'il était tenu par ses alliés, les écolos, les communistes… D'ailleurs, c'est sans doute ça aussi, l'originalité des cinq années de Jospin, et la singularité de cette proposition politique qu'était la gauche plurielle. Et c'est peut-être ça que des gens comme Usul regrettent aujourd'hui ? Bah c'est la dernière fois qu'on a eu une gauche au pouvoir, qui essayait. Tu votais Jospin, tu savais que ce n’était pas le grand soir, mais que ça allait être un peu de gauche, quoi. Voilà, c'était le deal, ça paraissait correct à l'époque.

Et c'est sans doute ça qu'on pourrait retenir de la gauche plurielle de Jospin, c'était une proposition politique qui dans cette période, après la chute du mur et avant la crise de 2008 avait sa cohérence. Bien sûr ça n'a pas suffi, Jospin a été battu et sa politique d'alors paraîtrait aujourd'hui au mieux naïve au pire complètement à côté de la plaque parce que notre monde a changé, la bourgeoisie est déchaînée et le climat s'affole donc au contraire maintenant la gauche d'accompagnement c'est plus le moment, on n’a plus le temps. Peut-être que cette gauche, elle ne faisait pas tant rêver que ça ? Peut-être que tu idéalises un peu cette époque ? Sans doute pour ça qu'elle a perdu, elle ne faisait pas tant rêver que ça, d'ailleurs moi à l'époque je le pourrissais Jospin. Moi j'étais à l'extrême gauche, je voulais les attirer plus à gauche, et tout. On était la mauvaise conscience d'une gauche qui était naïve sur le capitalisme, mais qui au moins était honnête, et on comprend que des gens aient pu être convaincus.

Est-ce que ce n’est pas ça, peut-être, au fond, le truc ? Est-ce qu'au fond de chaque gauchiste, il n'y a pas un soc-dem qui demande qu'à être convaincu ? Ah, va savoir ? Voilà c'était notre avis définitif sur Lionel Jospin. Et c'était aussi notre dernier portrait de la saison. Mais on reviendra quand même à la rentrée prochaine avec une nouvelle galerie de portraits, en attendant que vous soyez soc-dem ou pas vous pouvez toujours faire des dons pour soutenir Blast.

2022-07-26

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